Le navire brancardier [Solo - Présent]

Il s'était enfuis de l'île victime d'une révolution dont l'ampleur dépassait totalement l'entente des dirigeantes. Il ne s'agissait plus là d'une mission de l'ordre d'une bande de mercenaire, mais bel et bien d'un devoir du gouvernement mondial. Si la fuite relevait du miracle et qu'il pouvait s'en contenter, Shinji demeurait tout de même contrarié par ses camarades. Son esprit était confus, partagé entre la peur du sort de ses frères d'arme, mais aussi par la colère d'avoir été abandonné. Une disparition éclair soudaine qui s'était déroulée pendant son temps d'inconscience et d'emprisonnement au sein de l'armée de la rébellion. Son retour sur le port avait été un véritable choc de part l'absence du navire qu'il connaissait si bien, ayant prit l'habitude d'avoir navigué sur celui-ci depuis désormais plusieurs années.

Désormais sur un bateau marchand afin de pouvoir s'exiler en direction du Royaume de Luvneel, Shinji n'avait même pas eu besoin de piocher dans sa bourse. Son allure de soldat en détresse avait su susciter de la pitié chez le capitaine du rafiot dénommé "La Grandiose Grenouille". Ne tenant qu'à peine debout, le garçon s'était fait escorter par les bons matelots jusqu'aux quartiers afin de pouvoir se reposer. Le casque toujours sur les épaules, le jeune adulte était donc allongé sur un misérable drap accroché à deux poutres. Le semblant de hamac avait permis au garçon d'enfin prendre le temps de souffler, et de se sentir en sécurité. Un sentiment qu'il n'avait plus ressenti depuis désormais un moment, et qui lui avait grandement manqué. Cet équipage chaleureux avait offert au bicolore une belle planque, qui aurait pu lui permettre de se reposer dans le plus grand des calmes, et d'enlever cette armure qui lui était fixé depuis un long moment.

Cependant, il n'en était rien. Le tireur avait décidé de garder son anonymat. Une fois le convoi arrivé à destination, il ne comptait pas s'éterniser avec ses nouveaux alliés. En revanche un bien méritait un bien en retour, et Shinji avait bien l'intention de racheter sa dette du mieux qu'il puisse. Néanmoins, en l'état actuel, même bouger était d'une grande difficulté. L'installation qui lui permettait de garder une position allongée était parfaite pour enfin mettre un œil sur cette plaie qui lui démangeait tant. Le bandage ventral n'était pas bien difficile à enlever, au vu de la qualité de ce dernier. D'ailleurs, la manière de procéder était assez ridicule, puisque les infirmiers locaux avaient visiblement pris la décision d'appliquer les soins par dessus les vêtements.

Une fois les longues bandes blanches retirées avait succès, le Nakata était désormais libre d'admirer le trou béant installé au niveau de son estomac. La balle était sûrement toujours logé, c'est ce que suggérait en tout cas la douleur qui avait fait son apparition soudaine. La douleur parcourait le corps tendu du militaire. Les orteils se repliaient à l'intérieur des bottes, les mains se crispaient laissant apparaître les tendons et veines, la mâchoire se contracté à en user les dents. Shinji accélérait sa respiration, en prenant le soin de bien souffler avec sa bouche les inspirations qu'il prenait à pleins poumons. C'est dans une douleur ultime qu'il se relâcha la pression en hurlant à travers tout le quartier vide.

"AAAAAAHHHHH ! INFIRMIER, JE VOUS EN PRIE ! JE VOUS PAIERAI GRACIEUSEMENT !"

Les matelots étaient au travail, le garçon était seul dans la soute du transport, personne n'avait répondu à l'appel. La douleur revenant, le garçon roula sur son épaule droite, avant de tomber sur le sol. Mal en point, son crâne avait claqué sur le sol. Enfin, c'était plutôt le casque qui avait embrassé le bois humide du navire, aspirant ainsi quasiment toute la violence de l'impact. Shinji toussait, à bout de souffle, croyant qu'il allait succomber à la sa douleur abdominale, avant de voir la trappe s'ouvrir, laissant apparaître quelqu'un qui descendre l'échelle. L'inconnu était apparu dans un rayon de lumière, une scène semblable à la venue d'un ange. Lorsque la trappe s'était refermée, une visuel plus précis avait permis d'analyser ce sauveur. Il s'agissait d'un petit homme, plutôt âgé, avec plus de poils dans les oreilles que sur le cuir chevelu. Une blouse pas très propre, et une mallette en cuir plutôt classe accompagnait ce qui semblait être le médecin de bord.

"Allez debout, t'as pas l'air d'être en âge de succomber, du nerf !"

De sa petite taille, le vieillard aidait Shinji à se relever avant de l'aider à atteindre une destination qui semblait être inconnu pour le jeune homme. Quelques dizaines de pas plus loin, le vieux s'était attardé à toquer à une porte. Rien n'indiquait ce qu'elle cachait, mais le Nakata espérait voir quelque chose pour arranger son état. Le silence avait répondu à l'homme à la blouse. Une réponse qu'il n'appréciait visiblement pas, puisqu'il remuait sa moustache grisonnante de droite à gauche, tout en fronçant les sourcils. Son visage creusé par l'âge montrait vraiment un air mécontent, mais pourtant pas menaçant. Agacé l'homme décida de retoquer une deuxième fois plus violemment.

" Katy, bordel de merde ! Tu vas m'ouvrir, ou je dois attendre la fin de ma vie?"
" C'est bon, c'est bon, j'arrive."

Une voix féminine s'était distinguée de l'autre côté de la paroi en bois. La porte s'ouvrait lentement avant de donner la vue sur une rouquine, sûrement plus âgé d'une dizaine d'année que Shinji. Bien qu'elle était jolie, avec un profil pouvant intéresser le combattant, ce dernier avait préféré évité, se concentrant sur la douleur qui le tiraillait depuis quelques jours. La pièce était sombre. Munie d'étagères médicales, et de lits avec les instruments nécessaire à la mise en place d'une opération semblait définir une certaine prise en charge imminente.

"Installe-le sur le lit, oui, celui-là. Je prépare de quoi l'endormir, il faut que l'on puisse analyser et réparer la plaie."

C'était le vieillard qui s'était chargé d'installer le jeune homme sur le lit. Visiblement, cet homme possédait bien plus de ressources qu'il semblait le montrer. Il fallait préparer l'opération, et l'immobilisation du patient. Le moustachu prit donc la décision d'empoigner les mains du soldat, avant de les serrer à l'aide de sangles. Il fit pareil au niveau des chevilles, pour éviter tout geste brusques. Une fois complètement immobilisé, ce qui commençait à devenir une habitude pour le bicolore, l'ancien se dirigea au niveau du casque, dans l'optique de le retirer. Un vif mouvement de la tête sur le côté avait provoqué un sursaut chez l'infirmier.

"N-ne me le retire ... pas, s'il... te plaît...."

Le soldat était faible, et sa température grimpait. Pourtant, ce vieillard respecta contre tout attente la demande du blessé. Le relais était prit, et cette fois-ci s'était l'infirmière qui se présentait au-dessus du combattant. Sans prévenir, une aiguille infiltrait l'avant-bras du mal-en-point. La piqûre faisait immédiatement effet. La douleur s'envolait, une sensation de bien-être s'installait. Puis soudainement, le noir. Shinji avait été anesthésié.

Lors de son réveil, probablement plusieurs jours s'étaient passés. L'estomac de l'homme criait famine, et un rapide coup regard autour de lui avait permis de lui faire rendre compte que personne n'occupait la salle mis à part lui. Son revolver n'avait pas été pillé, et son casque n'avait pas été ôté. Il était rare de voir des gens aussi respectueux et bienveillant. Finalement, malgré toute la malchance qu'il venait de subir, le bicolore n'avait peut-être pas été abandonné par la chance. Le jeune adulte soulevait lentement son vêtement recouvrant le haut de son corps, avant de s'apercevoir d'un travail de professionnel sur la blessure. La douleur avait quitté la partie abdominale de Shinji.

"Il est temps de se bouger, allez hop !"

L'esprit encore embrouillé, le Nakata se balança sur ses jambes voulant se déplacer. Contrairement à ce qu'il pensait, un l'allongement prolongé avait quelque peu engourdi ses jambes. Oui, en effet, l'artilleur s'était rétamé sur le sol, en se rattrapant faiblement à l'aide de ses mains. Sous son masque, l'ancien bourgeois était rouge de honte. Heureusement pour lui, personne n'avait été spectateur.

D'un geste vif, le garçon ouvrait la porte menant aux quartiers puants des matelots responsables du bon fonctionnement du navire. Sans en avoir l'intention et dans son élan, Shinji avait malheureusement claqué la porte contre le nez de la dame qui s'était chargée de ses soins. La femme était comme dans ses souvenirs. Rousse, avec un beau visage, et sûrement d'une dizaine d'année plus vieille que lui. Bien que la situation pouvait paraître comique, le Nakata était soudainement victime de remords. Si le coup était involontaire et quasiment inoffensif, le soldat s'en voulait quand même d'avoir violenté la personne l'ayant probablement soigné. S'agenouillant, le jeune adulte s'était pressé de ramasser les notes jetées en l'air lors de l'impact, avant de tendre la main, dans l'optique d'aider la rouquine à se relever.

"Je suis vraiment maladroit parfois, excusez-moi."

L'infirmière se recoiffait immédiatement, tout en ajustant ses vêtements légèrement chiffonnés par la faute du choc. Mécontente, l'infirmière aux cheveux cuivrés avait vivement repris ses feuilles gribouillés de formules, et de schémas. Par un rapide coup d’œil, le jeune militaire avait déduis qu'il s'agissait là de recherches sur l'anatomie du corps humain. Soupirant plutôt fort, l'auxiliaire étudiante ne semblait pas vraiment ravie du rétablissement du bicolore casqué vu la tournure des événements.

"Pffff ! Si j'avais su que t'étais aussi godichon, je ne t'aurais sûrement pas extrait cette balle de plomb. D'ailleurs c'est limite spectaculaire que t'es réussi à nous rejoindre, boîte de conserve. Fais attention à ne pas faire de mouvements trop brusques, sinon les fils de tiendront pas bien longtemps. Ah, et les pansements à changer à chaque fois que tu te laves, sinon ils se décolleront tout seul, tu verras ça sera chiant. Enfin bref, j'ai pas de temps à perdre avec toi, il me semble que le capitaine souhaite te voir. Allez oust, tu nous remercieras plus tard."

Le contact avec l'autre sexe ne s'était visiblement pas amélioré depuis toutes ces années. Il avait beau être un exceller dans de nombreux domaines, et dissimuler son visage, rien ne pouvait modifier ces situations. Le Nakata n'avait connu que très peu de connaissances féminines, la cause de son escouade masculine, enfin c'est ce qu'il avait déterminé. Sous son armure cachant son faciès, il avait écouté la tirade vexante de Katy, les deux yeux grands ouverts, avant de rougir bêtement ne sachant plus quoi répondre. Une deuxième situation embarrassante évitée, depuis son réveil.

Quoi qu'il en soit, il ne savait pas depuis combien de temps il s'était endormi, et n'avait pas réellement osé demander à celle qui l'avait verbalement agressé. Le convoi était il arrivé à bon port, était-il bientôt à destination, restait-il encore plusieurs jours? Il n'y avait qu'un seul moyen de se tenir informer. Bien que parfois les capitaines se terraient dans leurs cabines, à compter leurs pièces d'or, il était plus probable de trouver l'homme responsable de la Grandiose Grenouille derrière la barre, à donner les ordres à ses sous-fifres.

Le soldat s'aventurait donc entre les piaules composant les quartiers. Si ce n'est que deux-trois hommes en repos, personne n'était présent. Le soleil était donc sûrement en train de taper sur le mat, ou du moins la lune n'était pas visible. Le seul homme n'étant pas assoupi avait levé sa main en direction du fraîchement rétabli, comme pour souhaiter la bonne journée. Pour répondre le Nakata avait levé son pouce de sa main droite dans les airs.

Grimpant l'échelle, avant d'ouvrir la trappe, Shinji se rendit compte que ses suppositions étaient bonnes. La journée était bien attaqué, et le soleil venait sûrement de dépasser son zénith depuis peu, indiquant donc le début de l'après-midi. Sur le plancher du navire, des tas d'hommes s'occupant des marchandises, de nettoyer les canons, d'hisser les voiles, et de s'occuper de la propreté du pont. Les tâches étaient parfaitement établies, prouvant l'autorité et l'efficacité de l'homme qui avait décidé de gracieusement accueillir un blessé à bord. Un regard sur la gauche, puis sur la droite, avant de finalement trouver un homme d'une quarantaine d'année à la barre. Ce dernier faisait des grands signes au jeune adulte, demandant à ce dernier de se rapprocher. Une requête que le garçon exécuta sans broncher.

"Je suis content de te voir en forme garçon ! Eheh ! J'avais bien peur d'avoir reçu de la bouffe pour monstre marin ambulante. En tout cas, je suis fier de mes deux médecins de bord, ça va rassurer les matelots tout ça !"

L'homme portait une épaisse barbe, ainsi qu'un accoutrement exhibant la richesse que pouvait lui prodiguer ses affaires. Le visage jovial de l'hôte rassurait Shinji, qui ne savait pas réellement ce dont ce dernier pouvait lui demander en échange des bons services qu'il avait reçu. Sans pour autant être explicite sur le sujet, le navigateur ressentait une énorme fierté envers les responsables des soins.

"Merci, je ne vous remercierai jamais assez. J'ai entendu dire que vous souhaitiez me voir d'après l'infirmière qui m'a recousu? A quel but?"
"Infirmière ? Ne lui dis parle jamais en utilisant ce terme, allons malheureux ! Cette femme est un prodige, et mérite amplement le titre de médecin. A défaut de l'appeler médecin, ou docteur, tu peux aussi l'appeler Katy. Elle m'a d'ailleurs beaucoup parlé de toi, et m'a avoué que tu refusais d'enlever ton casque. Il parait-il que même inconscient tu gardais une main sur celui-ci afin de t'assurer que personne ne l'enlève, quel phénomène ah ah !"

Le garçon sentait comme un soulagement aux dires du dirigeant du rafiot. Visiblement cette femme avait honoré la volonté du garçon. Il était rare de trouvé tant de bonté en ce bas monde, et ça faisait bien longtemps que Shinji n'avait pas eu le droit à ce privilège. Le capitaine s'était arrêté dans la discussion pour hurler différentes directives à son équipage. Visiblement, l'homme comptait maximiser l'allure puisque ce dernier avait ordonné de déployer toutes les voiles.

"Excuse-moi, je préférerai arriver avant ce soir. Vois-tu j'aurais pu te demander une gracieuse somme pour rembourser le trajet ainsi que les soins, néanmoins j'ai un autre problème qui nécessite d'être résolu. Et je pense par ailleurs que tu as le profil parfait pour régler ce souci. Vois-tu, lors de nos trois dernières livraison au port du royaume de Luvneel, nous avons été attaqué par des pilleurs. Il s'agit là de pertes s'élevant à beaucoup plus que ta dette. Tu comprends où je veux en venir? J'aimerai que tu assures la protection de notre navire une fois arrivé à destination..."

D'un geste vertical de la tête, Shinji montrait son accord. S'il ne comptait pas s'attarder avec ses nouvelles connaissances, il pouvait au moins rendre ce petit service. De toute manière, il n'avait pas la moindre piste pour rattraper ses frères d'armes. Le Nakata serrait alors la main du capitaine, scellant son accord. Le canon du revolver allait bientôt chauffer.